Rimbaud en Abyssinie

 

Arthur Rimbaud est né  le 20 octobre 1854 à Charleville. Commencée à l'adolescence, il achève une oeuvre prodigieuse et fulgurante avant l'âge de vingt ans, une oeuvre qui en fera l'un des plus grands poètes. Puis il restera muré dans le silence jusqu'à la fin de sa vie, car c'est alors qu'il quitte la France pour mener une vie aventureuse dans les contrées parfois inconnues de la Corne de l'Afrique. En 1880, il gagne d'abord Aden, aujourd'hui au Yémen, et s’engage comme acheteur à la maison Viannay, Mazeran, Bardey et Compagnie spécialisée dans la vente de peaux et de café qui l’envoie à Harar, dans l’actuelle Éthiopie.* Ses lettres de l’époque, à sa famille et à ses collègues commerçants d’Aden et d’Abyssinie, ne sont que chiffres sur les cours du café et nouvelles de ses voyages.

 

En 1887 a lieu la rocambolesque et dangereuse expédition depuis Tadjourah* – 34 chameliers et 30 chameaux  – pour aller revendre plusieurs milliers de vieux fusils européens au roi Ménélik, cousin du père du futur empereur Haïlé Sélassié. Cela lui vaut la réputation de trafiquant d’armes. « De vieux fusils à piston réformés depuis quarante ans », écrit-il à sa famille, mais « N’allez pas croire que je sois devenu marchand d’esclaves ».

 

Rimbaud sillonne un vaste espace : Aden, les ports de la mer Rouge, Harar, l'Abyssinie. Il va bientôt gagner la ville de Harar qui lui a été au fil des années plus supportable. Agent d'un comptoir, il mène une vie sobre.  Parfois, ce Rimbaud voyageur prend les dimensions d'un véritable aventurier, reconnaissant de nouveaux territoires (l'Ogaden* ou, plus tard, la route d'Ankober* à Harar). Lors d'un court séjour au Caire où il se repose, il confie au Bosphore égyptien le récit de son dernier voyage (publié les 25 et 27 août 1887).

 

Atteint d'une grave maladie, il regagne Marseille, revoit une dernière fois sa famille et meurt le 10 novembre 1891, deux jours après avoir pressé sa soeur de préparer ses bagages, afin de repartir pour la Corne de l'Afrique.

 

Lire aussi La Croix, L'Exilé d'Abyssinie

www.la-croix.com/Culture/Livres-et-idees/Arthur-Rimbaud-exile-Abyssinie-2016-07-28-1200778755

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* Éthiopie : Deuxième nation chrétienne la plus ancienne, après l'Arménie

* Tadjourah : petit territoire au nord de Djibouti

* Ogaden : région peuplée de plus de 4 millions d'habitants, au sud-est de l'Éthiopie, à majorité musulmane

* Ankober : ville d'Éthiopie

 

Rimbaud à Aden ? La trentaine *

 

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* Photographie très controversée, non seulement du point de vue du vieillissement des traits, mais aussi de la chronologie, car il serait arrivé un an plus tard à Aden 

  

      

 

 

L'Alchimie du verbe

 

Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie moderne.

 

J'aimais les peintures idiotes, dessus des portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d'église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs.

 

Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n'a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de meurs, déplacements de races et de continents : je croyais à tous les enchantements. 

 

Arthur Rimbaud,Une Saison en enfer, extrait

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Rimbaud vu par Hugo Pratt

(Corto Maltese)

 
 

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*«Hugo Pratt a vécu son adolescence en Ethiopie, alors appelée Abyssinie. Il y envoya plus tard son héros Corto, dont les traces se mêleront à celles des écrivains qui sillonnèrent la région: Rimbaud, Henry de Monfreid et Dino Buzzati. Les éthiopiques sont le fruit de tous ces souvenirs, avec Les Scorpions du désert, série inspirée par les bourlingues du Vénitien à Djibouti. Lire est parti sur ces traces encore chaudes. Entre Nil Bleu et mer Rouge, les plateaux hantés par les nomades Danakils offrent des paysages que Pratt aimait dessiner: désert volcanique où sévissent les pirates, montagnes pelées où se cultive le qat (plante aux vertus hallucinogènes de la Corne de l'Afrique), brousse où rôdent les hyènes dès la nuit tombée... Un siècle après Corto, l'aventure est toujours au rendez-vous.» (Réf. L'Express, à lire Sur la piste de Corto, Tristan Savin, publié le 01/05/2007)

 

 

 

Ma bohème

 
 

Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.

                                                   - Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

                                                           Et je les écoutais, assis au bord des routes,
                                                          Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
                                                             De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

                                                            Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
                                                         Comme des lyres, je tirais les élastiques
                                                             De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur !

 

 

... et Corto songe à Rimbaud

 

 

Rimbaud vu par Straboni Maurel

 

 

 

       

 

 

 

Le dormeur du val

 
 

C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

 

 

 

 

 

 

De

Joel Alessandra, Abyssinie, une traversée dessinée, éd. Paulsen, 2017